A la découverte des poteries japonaises
Notre voyage à Shikoku a hélas pris fin, mais il nous reste bien des choses à dire et des projets à mener à bien ! Je reviendrai aujourd'hui sur notre seconde journée au four du potier Akiyama-sensei afin de vous donner un aperçu des techniques de fabrication utilisées là-bas.
Le four Hendei-an noborigama Rokugô
Monsieur Akiyama a construit six fours de ses propres mains. Celui que nous avons vu à l’œuvre est un noborigama (登り窯), un type de four popularisé au XVIIème siècle au Japon et qui a pour particularités le fait qu'il est bâti sur une pente et qu'il possède plusieurs chambres de cuisson. Le foyer est placé à l'extrémité basse de la chambre tandis qu'une cheminée est construite à l'autre orifice. Dans son four, Akiyama-sensei peut placer environ un millier de pièces. Celles-ci mettront bien une semaine à cuire, puis il faudra laisser le tout refroidir pendant dix jours, que les températures à l'intérieur deviennent assez raisonnables pour qu'un être humain puisse pénétrer dans les chambres. Les potiers du Hendei-an procèdent à deux cuissons par an.
On comprend mieux l'expression "chaud comme dans un four"
Au départ, le foyer est réduit à un trou de dimension modeste par lequel on fait passer des morceaux de bois de la taille de petites branches. L'ouverture principale est d'abord obstruée par un amas d'argile séché que l'on casse ensuite pour pouvoir introduire de larges troncs coupés et des tronçons plus volumineux. Tout au long du processus, le four doit être maintenu à des températures pouvant avoisiner les 1200 degrés. Le Hendei-an est pour cela alimenté en bois nuit et jour, un travail fastidieux. Demandez donc leur avis à Jérôme, Guillaume et Thierry, qui se sont essayés à la taille du bois à la hache... Les potiers ont trouvé un réconfort bienvenu dans cette tâche ardue : quelques rasades de saké et ils se remettent à l’œuvre avec entrain ! On peut jouer sur l'oxydation des pièces et en altérer la coloration en comblant les ouvertures pratiquées dans le four. Enfin, on cesse l'alimentation et l'on bouche toutes les ouvertures afin que le feu meure.
Les gestes de Guillaume n'ont rien à envier à ceux de Jack Nicholson dans "Shining"
Thierry alimente la fournaise
Caractéristiques des poteries Shigaraki-yaki
Il existe de multiples techniques artisanales de création de poteries au Japon. La plupart d'entre elles nécessitent des efforts que l'on ne soupçonne pas ! Nous avons eu de la chance d'avoir pu mettre la main à la pâte et réaliser le degré de difficulté de la chose. Les poteries fabriquées au Hendei-an appartiennent au style Shigaraki-yaki (信楽焼き), qui tire son nom d'une ville de la préfecture de Shiga. Ce genre de productions remonterait au Japon remonterait aussi loin que l'ère Kamakura (1192 – 1333) et aurait initialement servi d'ustensiles de la vie quotidienne : jarres, pots, bols mortiers... Les maîtres de thé ne s'y sont intéressés que plus tard, pour leur aspect rustique et proche de l'esthétique wabi-sabi (侘寂 – je réduirai ici ce terme à « la beauté des choses imparfaites et simples », mais je vous encourage à faire vos propres recherches sur cette expression complexe et cruciale dans l'esprit du thé).
Des formes très brutes pour certaines de ces poteries, qui ressemblent presque à de la roche.
Car elles ont un petit goût de bonne terre, ces poteries Shigaraki-yaki, avec leurs tons d'argile, leurs incrustations de dépôts de cendre, et parfois la marque des doigts du potier. Aucun émail n'est enduit sur les œuvres avant leur introduction dans le four. Mais l'exposition à de très hautes températures leur donne un aspect vitrifié. Selon l'endroit où elles ont été placées dans la chambre de cuisson, elles arborent des couleurs allant du brun au rougeâtre, en passant par l'ocre, des nuances cendrées, voire plus rarement des gris bleutés. Caressez du bout des doigts leur surface pleine de fines aspérités et vous comprendrez que l'appréciation d'un thé peut aussi passer par le toucher.
Examples de tasses produites au Hendei-an
Les potiers sortent quelques tasses du four pour vérifier que tout fonctionne correctement.
Le travail de l'argile
Lors de notre première session, nous nous étions essayés à la réalisation de vases. Cette fois, le groupe adeptes du thé (« Les Bouilloires ») s'est adonné à la création de bols et de récipients à eau pure pendant que celui des amateurs de bonsaïs (« Les Buissons ») modelait avec talent des pots pour les arbres miniatures. La technique de montage des bols est assez similaire à celle que nous avons utilisée pour le vase, à savoir l'assemblage de boudins d'argile soigneusement lissés entre eux afin que l'eau ne s'échappe pas de l'objet fini. Une différence notable cependant : alors que l'on s'attachait à garder de l'épaisseur dans le cas du vase, le bol doit être aussi léger que possible pour faciliter son utilisation. Akiyama-sensei m'a aidée à confectionner un second bol non évasé pour l'hiver (筒茶碗 – tsutsujawan).
Niko-chan, la petite-fille de Monsieur Akiyama, marche sur les traces de son grand-père
J'ai par la suite pu fabriquer des tortues portes-baguettes avec un moule en plâtre. Thierry, lui, a été particulièrement productif puisque Monsieur Akiyama l'a laissé manier son tour de potier (轆轤 – rokuro). En un tournemain, il a produit vases, bols, coupes et jarre à saké sous les yeux admiratifs du maître ! D'après Thierry, le tour japonais se distingue de son confrère français : il tourne dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. Dans leur grande générosité, les potiers se chargeront de nous envoyer nos réalisations lorsqu'elles seront cuites au printemps prochain. Avis aux intéressés : si vous avez de l'espace et de l'argile, Akiyama-sensei est près à venir construire un four noborigama chez vous !
Pour faire plaisir à Télépiu: une tortue repose-baguettes réalisée par Akiyama-sensei
Le potier et son tour
Nous terminons notre journée au four par un festin qui n'a rien à envier à ceux d'Astérix et Obélix. Sur la table : sushis faits main en forme de fleurs au congre (アナゴ – anago), aux œufs de saumon (イクラ – ikura) et à la daurade (鯛 – tai), des toasts en tous genres, des chips de bardane et de racines de lotus, et de délicieuses patates douces cuites au dessus du four à poteries. Voilà des végétaux japonais dont j'ignorais l'existence : les kuwai (クワイ). Ce sont les bulbes d'une plante, assez prisés dans la cuisine du Nouvel An car ils symbolisent le bourgeonnement et que cette idée implique un jeu de mot entre deux termes prononcés « medetai » (芽出たい/めでたい – des bourgeons qui essayent de percer/félicitations). Ceux-ci avaient été récoltés à Hiroshima et avaient la consistance savoureuse de la châtaigne ! Un grand poulpe a également été sacrifié sous nos yeux. Nous l'avons dégusté cru en compagnie d'une jeune sériole (はまち – hamachi) découpée avec dextérité par un poissonnier. Ambiance du tonnerre !
Pour vous mettre en appétit...
Bulbes de kuwai
Elle est pas fraîche ma jeune sériole?
Poulpe et sériole crus, ça fond sur la langue!
Merci à notre fine équipe!