Comment fabrique-t-on les pâtisseries japonaises ?
Les pâtisseries nerikiri
Comme je l'expliquais dans un billet antérieur, les namagashi sont littéralement des « pâtisseries crues » qui se mangent fraîches, le plus tôt possible après leur préparation. Le matcha léger (usucha) est généralement précédé d'un namagashi (生菓子)ou d'un higashi (干菓子 – sucrerie sèche). On servira en revanche un namagashi avant le matcha épais (koicha), mais pas de higashi. La semaine dernière, nous avons rendu visite aux artisans de l'établissement Sanyûdô (« Aux Trois Amis »), qui a été fondé pendant l'époque Edo par trois amis justement, et est une institution pâtissière de Takamatsu. Nous avons rejoint l'atelier de confection des gâteaux, à deux pas de la boutique. Une vraie caverne d'Ali Baba pour les gourmands : à droite, des préparations à base de châtaignes, des beignets cuits à la vapeur, des machines en tous genres, à gauche des réchauds, des boulettes de pâte de haricots blancs colorée, au centre des artisans qui s'affairent autour de confiseries et des saladiers de mixtures sucrées...
Le patron de Sanyûdô, côté boutique
Dans les coulisses de la pâtisserie
La pâtisserie Sanyûdô produit bien des variétés de gâteaux : biscuits au riz (せんべい – senbei), pancakes fourrés à la pâte de haricots rouges (どら焼き – dorayaki), génoise d'origine portugaise (castella) à la confiture de cédrat japonais, et autres délices. Les délicatesses que nous avons créées sont des gâteaux frais de type nerikiri (練り切り), une pâte à base de haricots blancs, de sucre et de farine de riz. L'avantage de cette mixture est qu'elle peut être sculptée aisément, comme une pâte à modeler qui serait un peu fragile. Les artisans de Sanyûdô disposent d'une machine spéciale pour enlever la peau des haricots après qu'ils aient été bouillis. Ils fabriquent un grand bac de pâte nerikiri tous les deux jours.
La pâte nerikiri à base de haricots blancs et de farine de riz
Autre type de gâteaux: les manjû cuits à la vapeur
Techniques de modelage
Ce jour là, nous avons pu expérimenter deux techniques. La première était employée dans la confection d'un chrysanthème (菊 – kiku). Un morceau de pâte blanche est passée au tamis grossier afin de former des filaments qui serviront à représenter les fins pétales de la fleur. On prélève une boule de pâte de haricots rouges (le fourrage) dans le creux de sa paume, et on le recouvre de filaments blancs à l'aide d'une paire de baguettes. Quelques filaments verts seront y seront ajoutés pour symboliser une feuille. Le cœur de la fleur est réalisé avec une petite boule de pâte jaune apposée au centre du gâteau grâce à un outil en bois du nom de sankaku-bera (三角ベラ) et qui reproduit des détails végétaux.
La pâte est rapée à l'aide d'un tamis
Nicolas colle les filaments qui formeront la feuille du chrysanthème
L'outil sankaku-bera permet de créer le coeur d'une fleur en utilisant la pointe concave, mais aussi de former des pétales ou des veinures en employant les arêtes
Le résultat final!
La seconde technique permettait de produire une boule tricolore rappelant les couleurs des feuilles qui s'apprêtent à tomber, joliment appelée Kinshû (錦秋), « Brocart d'Automne ». On accole trois boules de pâte colorée (rose, jaune et verte) de dimensions égales et on les aplatit pour former une surface plate sur laquelle on dépose une boulette de pâte de haricots rouges. La boulette est ensuite enrobée entièrement avec la pâte tricolore. La fabrication ne s'arrête pas là : on enveloppe le gâteau dans un torchon en lin, que l'on tord légèrement. Ce procédé nommé chakin-shibori (茶巾絞り) laisse de belles impressions sur la matière tendre.
Préparation pour gâteaux Kinshû
Impression des plis du torchon en lin sur le gâteau
Au premier plan le gâteau Kinshû, au second plan une feuille d'érable modelée par le pâtissier
L'artisan incroyablement patient et dévoué qui nous a épaulés s'est livré suite à nos demandes à un étalage de techniques diverses pour sculpter la pâte. En quelques mouvements des doigts et de pressions d'outils en bois, il a donné naissance à des fleurs de cerisier, de prunier, différentes chrysanthèmes, une feuille d'érable, un iris... Répondant à notre curiosité, il fait même chauffer des fers au rouge. Il marque ainsi sur des manjû (饅頭 – gâteaux cuits à la vapeur) ici des silhouettes d'oies sauvages, ici une feuille d'érable, là le sceau de la maison.
Une variété japonaise de taro (サトイモ - satoimo), ingrédient de la pâte des gâteaux cuits à la vapeur
Divers fers que l'on chauffe pour marquer les pâtisseries cuites
Un gâteau manjû marqué d'une feuille d'érable
木型 – Kigata : Les moules à gâteaux en bois
Toujours dans le cadre de notre étude de la fabrication des gâteaux japonais, nous frappons à la porte de la boutique de Yoshihiro Ichihara, le seul et unique artisan de moules en bois traditionnels à Shikoku. Il a cette année reçu un prix pour son kit de confection de sucreries nippones. La boîte contient un moule et un racloir en bois, un sachet de sucre de canne (和三盆糖 – wasanbontô) de Shikoku, un vaporisateur pour humidifier le sucre et un livre de recettes... pour la modique somme de 160 euros ! Le prix élevé s'explique par le raffinement extrême et la précision des détails du moule, résultats d'un travail fastidieux. Ce sont de véritables œuvres d'art. Le sucre de canne est lui aussi un ingrédient coûteux. Il s'agissait autrefois d'une denrée rare, que l'on offrait lors des mariages ou des cérémonies religieuses.
Ichihara-sensei au milieu de ses créations
Kit pour faire ses propres sucreries à la maison
Dans les vitrines d'Ichihara-sensei, ce sont des centaines et des centaines de moules qui s'entassent. Il y a de tout : du motif classique de pin ou de fleur de prunier aux masques de théâtre Nô, des carpes bondissantes aux phénix légendaires, en passant par les logos d'universités. Il y a même de minuscules crânes pour fêter Halloween ! La plupart de ces moules servent à la préparation de sucreries higashi, notamment celles dites rakugan(落雁), des compressions de sucre dont on fait souvent cadeau lors d'occasions particulières. D'autres moules sont utilisés pour donner des formes intéressantes aux pâtisseries fraîches comme les nerikiri que nous avons créés.
Moules pour sucreries higashi
Quand l'outil devient oeuvre d'art
L'avenir des artisans traditionnels de gâteaux japonais est désormais menacé par le développement de techniques moins coûteuses. Il est vrai que le prix de ces douceurs faites main avec des outils d'une grande sophistication semble élevé pour le gourmand qui ignore à quel point leur production est difficile. Les consommateurs se tournent plutôt vers des pâtisseries produites en Chine et décongelées. Notez cependant que les prix pratiqués par la pâtisserie Sanyûdô sont plus que raisonnables : 1,50 euro la pièce, quand on ne les trouve qu'à 4 euros à Paris !
On en a rêvé, les Japonais l'ont fait: le Play-Doh comestible!
Quelques exemples de pâtisseries fraîches réalisées avec des moules en bois