泥んこ – Doronko : Jouer dans la boue
Mercredi était une journée salissante pour notre équipe, puisque le fil rouge de la journée n'était autre que celui de la boue (泥 – doro) ! Nous avons quitté Takamatsu dans la voiture de Nobuko-san pour rendre visite au calligraphe Kôzô Higasa. Détenteur d'un atelier construit dans un ancien restaurant dans la ville de Zentsûji, Higasa-sensei est un sacré personnage ! Alors que la calligraphie (書道 – shodô) est comme bien des arts japonais une discipline fortement codifiée, pour notre maître il s'agit surtout de s'amuser. Ce qui l'intéresse, c'est la forme, les rythmes qui ponctuent le papier, l'occupation de l'espace. « Dessinez d'un seul coup ! L'important, c'est que votre personnalité transparaisse. Si nous faisons tous la même chose, cela n'a aucun intérêt. » Une façon de voir révolutionnaire dans le monde de la calligraphie japonaise. Armés d'une palette de pinceaux et d'encre de Chine, nous attaquons les carrés de papier (色紙 – shikishi), les éventails ronds (うちわ – uchiwa) et même des T-shirts ! Nous signons nos œuvres en y apposant notre empreinte digitale en rouge.
Nicolas trace les caractères de "Shikoku" d'une main de maître...
Les productions de mes compagnons voyageurs. Les miennes... ne méritent pas de figurer ici!
Joli dessin stylisé de Jérôme
Direction la ville de Marugame pour commencer nos aventures boueuses. En effet le lieu où nous débarquons est consacré à la production de poteries. Nous venons assister à l'allumage du Hendei-an (偏泥庵). Le caractère « dei » signifie ici « boue ». Ce four est un noborigama (登り窯), un type de four utilisé depuis l'époque Edo (1600 – 1868) au Japon et qui se caractérise par le fait qu'il est construit sur une pente. Les poteries réalisées ici sont dites « Shigaraki-yaki ». Pour fêter notre arrivée, les potiers ont fait venir des prêtres du sanctuaire shintô Kotohira-gû afin de nous montrer une cérémonie d'allumage du four (火入れの儀式 – hi-ire no gishiki). Les deux prêtres (神主さん – kannushi-san) prennent place face à un autel chargé de kakis, de légumes, de sel, de saké, d'une jeune sériole (hamachi) bien grasse et d'une dorade.
Un four à poteries de type noborigama, le Hendei-an Rokugô
Le prêtre salue l'autel sacré (cette sériole me fait de l'oeil...)
Après avoir salué moultes fois l'autel sacré et déclamé une prière (祝詞 – norito), les prêtres purifient les lieux et les participants avec une branche de sakaki (榊), arbre connu pour ses vertus sacrées. Le four est alors allumé par le maître potier, Akiyama-sensei, à l'aide d'une large torche enflammée grâce à la friction d'une lame en métal et d'un silex. Les prêtres récitent une prière personnalisée dans laquelle ils demandent aux dieux « de faire en sorte que Jérôme Cologne, Guillaume Billaud, Nicolas Dupuis, Julia Inisan et Thierry Del Socorro parviennent à faire des objets intéressants au four Hendei-an de la ville de Marugame » ! Nous nous inclinons deux fois, claquons dans nos mains à deux reprises, puis saluons une dernière fois l'autel après y avoir déposé une offrande de branches de sakaki avec ses baies (玉串 – tamagushi). Nous déjeunons tous ensemble autour d'une table longue installée dehors. Boulettes de riz aux châtaignes et aux haricots rouges, beignets (tempura) de patates douces et de pieds de couteaux (mategai), gâteaux...
Allumer le feu...
(Maboroshi no Rouge, le site des meilleures références culturelles, ahem!)
Beignets (tempura) de patates douces, de légumes et crevettes, et de pieds de couteaux
Un voisin bienveillant nous présente les poteries créées par le maître, et c'est ensuite à nous de mettre les mains dans l'argile dans l'atelier d'Akiyama-sensei. On malaxe l'argile afin d'évacuer les bulles d'air selon une forme appelée kikuneri (菊練り) qui rappelle celle de la fleur de chrysanthème. On prélève ensuite une boule que l'on dépose sur une plaque de métal tournante, puis on l'aplatit pour créer le fond d'un vase, mais pas trop car les poteries ont tendance à éclater lorsqu'elle sont trop fines. L'argile est découpé en cercle plus ou moins grand selon la taille du vase que l'on souhaite réaliser. Des boudins d'argile sont graduellement ajoutés à cette forme pour réaliser le corps du récipient, et l'ensemble est lissé soigneusement pour éviter les trous. La difficulté est de ne pas trop évaser le vase en le montant ; on « pince » pour cela la terre, ce qui permet de conserver des parois un peu épaisses.
Très beau mizusashi (récipient à eau pure employé dans la cérémonie du thé) dans l'atelier du maître
Akiyama-sensei malaxe l'argile selon la technique en forme de chrysanthème (kikuneri)
Les bonsaika Jérôme et Guillaume, affectueusement surnommés « les buissons », et Thierry, qui ont déjà l'expérience de la poterie, s'en sortent plutôt bien. De mon côté j'ai réussi à créer une œuvre digne des pull-overs tricotés par Thérèse dans « Le père Noël est une ordure ». Nos poteries devraient être cuites en décembre avant de nous être envoyées par bateau ! En attendant, nous allons passer la nuit à Marugame, dans un bâtiment reconstruit à partir de restes de maisons détruites, le Doronko-tei. « Doronko » signifie « jouer dans la boue », ce qui cadre bien avec ce que nous venons de faire au four à poteries !
Le Doronko-tei, un lieu où il doit être charmant de dîner en été
Un autre four... à pizzas cette fois!
C'est dans cet endroit que Ozaki-san appelle avec émerveillement « la maison de Totoro » que nous nous consacrons à la confection de pizzas faites main. Il y a en effet au Doronko-tei un grand four à bois, ce qui explique que des cours de cuisine soient régulièrement dispensés ici. Kayoko-san, boulangère de son état, supervise les apprentis pizzaïolos que nous sommes. Une ambiance chaleureuse régnait au cours de cette soirée malgré les températures un peu basse, et nous avons même eu le droit à un formidable petit déjeuner incluant du riz cuisiné dans un fourneau traditionnel le lendemain matin!
Tadaaaaa!