干菓子 - Higashi: les sucreries pour le thé
La suite du programme d'hier se déroulait à la Fondation Culturelle Chûjô, une maison toute de tatami vêtue où se retrouvent les adeptes de la cérémonie du thé. C'est un lieu passionnant, que l'on soit initié aux arcanes du thé vert ou non. L'édifice abrite plusieurs salles où l'on peut pratiquer la Voie du Thé : des grandes appelées hiroma (広間) et une de type plus petit (草庵 – sôan) située au fond du jardin. Dans l'une des pièces, Chûjô-sensei, le maître de thé qui fait vivre le lieu, venait de faire refaire le ro (炉), une ouverture carrée pratiquée dans le tatami et qui fait office de « trou » où l'on dépose le charbon et la bouilloire. Il nous a expliqué que les parois de cette ouverture étaient faite de terre, et que donner à l'argile des formes droites nécessitait un travail de haute précision. Tout le monde s'émerveille devant le jardin intérieur. Pins et érables se côtoient avec grâce tandis qu'une fine mousse émeraude tapisse le sol. Dans un bassin de pierre flotte une unique feuille d'érable aux accents automnals.
Le ro, ouverture destinée à la bouilloire
Toutes sortes d'hommes et de femmes de thé fréquentent la fondation, quel que soit leur style de pratique. Car il existe plusieurs écoles de thé (« Ils sont fous ces Japonais ! » s'exclameront mes parents en roulant des yeux). Ce jour là, nous n'avions pas moins de quatre écoles représentées :
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Le style Mushanokôji-senke : celui de Chûjô-sensei. Une des trois principales écoles de cérémonie du thé, elle est présente notamment à Kyôto et à Shikoku, où les seigneurs de guerre Matsudaira la protégeaient.
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Le style Sôhen-ryû : pratiqué par Thierry, et depuis très récemment par votre humble servante. Il se caractérise je pense par des mouvements épurés, naturels, proches de l’état d'esprit des guerriers. École minoritaire, elle est divisée en deux branches, l'une basée à Kamakura et l'autre à Tokyo.
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Le style Ura-senke : probablement le style le plus répandu, il est contraint en cela d'édifier des codes stricts afin de préserver l'orthodoxie chez ses nombreux adeptes. C'est l'école à laquelle j'appartenais lorsque j'étudiais à l'Universite de Kyôto.
- Le style Omote-senke : la troisième grande école avec Ura-senke et Mushanokôji-senke, dont la maison mère se situe à Kyôto tout comme ses consœurs. Une des personnes qui nous aidera lors de notre cérémonie après-demain est originaire de ce courant, ce qui donne lieu à des comparaisons enrichissantes.
Kitamura-sensei a supervisé ma pratique du thé, version Ura-senke, et je l'en remercie car j'en avais bien besoin!
Recette : les higashi
Mais la raison de notre présence était plus culinaire. Il s'agissait de confectionner 600 petites sucreries pour accompagner le thé (干菓子 – higashi) lors de la cérémonie que nous organisons. Excellente expérience, car outre le côté divertissant de la chose, peu de Japonais ont en réalité l'occasion de mettre la main à la pâte pour fabriquer ce type de bonbon. Le procédé que nous avons employé n'était guère complexe, mais nécessitait un matériel tout particulier. L'ingrédient de base est le sucre de cannes (和三盆糖 – wasanbontô), une spécialité locale. Les bonbons higashi fabriquées dans la région de Kyôto utiliseraient pour la plupart du sucre de Kagawa. Au sucre il faut ajouter quelques gouttes de colorant alimentaire de la couleur désirée, puis vaporiser de l'eau de sorte à ce que le sucre devienne malléable tout en restant poudreux.
Je vous avais parlé des gâteaux namagashi , voici maintenant les sucreries higashi
Notre professeur passe le sucre coloré au tamis
L'étape suivante est de passer la poudre ainsi obtenue au tamis afin de se débarrasser des grumeaux. Et là la fête peut commencer ! On se munit d'un moule en bois, ou en plastique, plus économique. Les formes représentent souvent des symboles saisonniers japonais dotés de multiples détails. Quelques exemples : le flocon et le lapin en hiver, le tourbillon d'eau et la pelote de fil en été, la feuille d'érable rouge et le chrysanthème en automne, et les fleurs de cerisier au printemps. On remplit délicatement chaque forme de la couleur souhaitée avant de presser la poudre avec les doigts. L'excédent de poudre est égalisé à l'aide d'une sorte de racloir. On retourne le moule, un coup sec au dessus d'une planche à découper, et si vous n'avez pas raté votre coup, quatre ou cinq petites formes se détacheront. Sinon, vous serez en droit de manger les bonbons cassés. J'en ai d'ailleurs vu plusieurs rater leurs sucreries volontairement, mais je ne citerai pas de noms...
Presser fermement la poudre dans le moule (celui-ci est en plastique)
Racler l'excédent de poudre
Le côté pâte à modeler de la chose a tôt fait de faire retomber tout le monde en enfance. Les conversations vont bon train en anglais et en japonais au dessus de la table, et certains se livrent à des expériences esthétiques. On peut ainsi colorer le cœur d'une fleur en jaune en déposant un tout petit peu de cette couleur au fond du moule, puis terminer les pétales avec du rose. Nicolas libère sa créativité sous le regard ébahi de nos hôtes japonaises pendant que Thierry réalise des bonbons couleur treillis. 400, 500, 600, le compte est bon !
Et voilà le résultat!