京をどり - Kyô Odori

Publié le par Zazen Rouge

Cet article sera le dernier à traiter des danses annuelles des maiko et geiko jusqu'à Kamogawa Odori qui aura lieu en mai. Cela ne m'empêche cependant en rien de vous importuner encore longtemps avec mes histoires de traditions japonaises! Entrons plutôt dans le vif du sujet: la 61ème édition de Kyô Odori, qui a lieu en ce moment du 3 au 18 avril au théâtre de Miyagawachô. Je connais mal le hanamachi de Miyagawa. C'est fort dommage car il est la demeure de (nombreuses) artistes bien douées et semble connaître une expansion méritée ces dernières années. On m'avait fait parvenir de très bons échos sur Kyô Odori lors d'une soirée au cours laquelle j'ai pu faire la connaissance des maiko Kimishizu et Kanamitsu. Il me tardait donc de voir la performance en question. Dire que ce fut une excellente surprise serait un euphémisme; je manque de superlatifs pour qualifier la danse à laquelle nous avons assisté!

 

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  La scène du théâtre de Miyagawachô

 

Bien que nous eussions opté pour les prix les plus accessibles, nous nous sommes retrouvés sur des sièges très bien placés au deuxième étage, ce qui nous a permis de profiter grandement des détails. A signaler que l'intérieur du théâtre de Miyagawachô possède d'intéressantes boiseries agrémentées d'un couple de faisans dorés. Mais chut, le rideau se lève sur Hanageshiki miyako no nigiwai ( 花景色都賑), "Glorieuses vues du printemps dans l'ancienne capitale". Place à des danseuses distinguées: trois maiko séniors et six de leurs onee-san ( お姉さん - soeur aînée, le lien est ici symbolique) en susohiki noirs ( 裾引き - kimono long rembourré dans le bas pour la danse). Petit battement de coeur quand je reconnais Yukina - ou plutôt Kikuyû car c'est désormais son nom en tant que geiko - sur scène. Yukina s'est fait connaître dans nos contrées il y a quelques années grâce à un reportage la BBC intitulé "Geisha Girl". La caméra suit ses premiers pas de maiko et nous éclaire sur les pratiques du monde des fleurs et des saules. On comprend vite que la vie ne sera pas tous les jours facile pour la jeune fille, alors âgée de quinze ans. Ce documentaire m'avait beaucoup émue, ce qui n'est sans doute pas étranger au fait que Yukina soit originaire de la région de Fukushima où j'ai vécu pendant un an lorsque j'étais au lycée. Si cela vous intéresse, il peut être visionné dans son intégralité sur Youtube.

"Geisha Girl": Partie 1 - Partie 2 - Partie 3 - Partie 4 - Partie 5 - Partie 6

 

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  La scène d'ouverture de Kyô Odori

 

La deuxième scène, Haru sugata musume no mai ôgi ( 春姿娘舞扇) avait pour décor le temple Shôbô-ji du village de Oohara non loin de Kyôto. Lorsque le thème n'est pas consacré aux fleurs de cerisier, il l'est aux fleurs de prunier, et tant mieux car j'en raffole! Les quatre interprètes de la danse sont revêtues de kimonos exquis blanc, azur, rose carné et lilas. Leur chanson évoque les rossignols et les fleurs "couleur sourire".

 

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  Je vends mon âme pour ces kimonos

 

Les organisateurs de Kyô Odori ont eu l'excellente idée de toucher à plusieurs genres: ainsi, Shiranami utsuke no himo shibari ( 白浪空紐縛) est une pièce comique mettant en scène la friponne Benten et son complice Santarô. S'en vient le saltimbanque Ishikawa, qui, un peu éméché, ignore tout de l'embûche que les deux coquins s'apprêtent à lui tendre.

"La bourse ou la vie!

Ishikawa fait halte pour mieux considérer ses adversaires.

- C'est que voyez-vous, je ne porte absolument rien de valeur sur moi! Non, vraiment rien, si ce n'est mon art...

- Ton art? Montre nous un peu ce que tu sais faire!

Le voyageur ne fait ni une ni deux et se met à exécuter une gigue en l'honneur du saké.

- Ce qu'il est drôle lui alors! s'exclame Benten. Apprends nous donc une danse ou deux!

- Bien, bien, que diriez vous que je vous enseigne la danse du ligotage? (le terme shibari - 縛り signifie le fait de lier quelque chose, mais il a aussi un autre sens plus particulier qui lui désigne la pratique du bondage!)

Les brigands ne voient même pas les complications se profiler. Ils prêtent leurs poignets à Ishikawa, qui s'empresse de les ligoter ensemble. Tous trois dansent gaiement juqu'à ce qu'Ishikawa en profite pour dérober le butin des voleurs. Il fallait voir les malandrins pester, trépigner et jurer en vain! Mention spéciale à la geiko Kikuno (l'onee-san de Yukina dans le reportage que je citais plus haut) qui a su capturer les expressions de rusée renarde de Benten à la perfection.

 

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  "Mais... mais où va-t-il comme ça?!"

 

La pièce suivante, dans la tradition du kabuki, était grandiose. Tamamo kinmô kitsune ( 玉藻金毛狐) narre l'histoire d'un kinmô kyûbi ( 金毛九尾 - démon renard à neufs queues et au pelage doré) qui se serait changé en magnifique jeune femme afin de séduire l'empereur Toba (1103 - 1156). Il existe de nombreuses légendes japonaises sur les kitsune ( 狐 - renard), auxquels on reproche souvent de se transformer en femmes aux charmes ensorceleurs. Les renards sont également positivement associés à Inari, divinité des céréales et du commerce entre autres. Notre démon renard (les amateurs du manga "Naruto" en connaissent un autre, ceux de "Nurarihyon no Mago" aussi) n'est pour sa part pas animé des intentions les plus pures, et il est chassé de la Cour lorsque ses desseins sont mis à jour. Il prend fuite pour se réfugier dans la plaine de Nasu. Le guerrier Kazusa-no-suke Hirotsune décide de s'aventurer dans le repère du démon afin d'occire la bête une fois pour toutes. Il fait la rencontre de trois villageoises, qui se révèlent être des renards aux ordres du kinmô kyûbi. Elles mènent Hirotsune jusqu'à un roc (sesshôseki - 殺生石, la "pierre fatale") habité par l'esprit de leur maître.

 

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  Le renard et ses suivantes

 

Sitôt que le guerrier s'approche de la pierre, celle-ci est fendue en deux par la foudre. Surgit alors le redoutable renard, sous sa forme humaine. Majestueuse apparition! La foule est frappée de stupeur. L'éclat froid d'un sabre, la face de la sorcière est impassible, le combat inévitable. Hirotsune est un combattant habile, mais le démon est étonnament rapide malgré ses robes imposantes (je salue au passage la performance de la geiko Fumiyû, moi qui ai déjà tant de mal à m'asseoir dans un simple kimono). La danse est d'une violence inouïe. Les éclairs déchirent le ciel tandis que les trois renards volent au secours de leur maîtresse. Hirotsune les pourfend d'un coup de sabre. Enfin, la sorcière semble faiblir. Elle s'avance d'un pas altier vers les spectateurs, couvrant sa figure d'un large éventail. Hirotsune la regarde, figé, alors que la foudre retentit une dernière fois. L'éventail est tombé, révélant le hideux visage du démon: un renard aux crocs blanchis. Rideau.

 

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  Duel au sommet!

 

Pour nous remettre un peu de nos émotions, le spectacle enchaîne sur une scène douce, Meika no odori ( 名花の舞姿), elle-même divisée en deux temps. La première partie est un solo de danse gracieux sur une ballade populaire japonaise chantée traditionnellement par les bateliers. La seconde partie réunit un groupe de geiko sur une chanson inspirée de celles des tisseuses du quartier de Nishijin, lieu de production de kimonos. Leur tenue indigo est simple mais charmante.

 

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  Très beau solo de danse la geiko Fumichô

 

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  Les tisseuses de Nishijin

 

C'est maintenant au tour des maiko de nous émerveiller avec une comptine pour enfant, Maiko no warabe-uta ( 舞妓の童唄). Le décor évoque la nostalgie des jeux d'enfants avec ses temari ( 手鞠 - balles à main faites à l'origine de soies de kimonos) multicolores. Les maiko elles-mêmes sont des poupées de porcelaine qui ont pris vie. Leurs mains esquissent des gestes élégants, parfaits. Une vision surréelle.

 

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  It's the maiko show!

 

Si Miyako Odori se voulait "l'usine à maiko", le final de Kyô Odori, Miyagawa Ondo ( 宮川音頭), répartit les rôles équitablement entre maiko et geiko, en laissant même participer les maiko les plus jeunes. Tout simplement la pièce la plus fabuleuse! 

 

Publié dans Zazen Geisha

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