Rencontre avec le maître chaudronnier Ônishi Seiwemon (2/2)

Publié le par Zazen Rouge

Meilleurs vœux à tous pour cette nouvelle année placée sous le signe des dragons ! J'espère que les fêtes ont été aussi amusantes chez vous que chez moi, où j'ai été gâtée de cadeaux très japonais (je ferai à l'occasion un billet sur les beaux livres que j'ai eu la chance de recevoir). Ci-dessous, la suite de la rencontre entre les participants du séjour Shikoku Muchûjin 2011 (Nicolas, Thierry et votre fidèle servante) autour de la cérémonie du thé et du maître chaudronnier Ônishi Seiwemon.

Kamashi 0093Le collègue de Maître Ônishi, en pleine discussion avec une invitée

 

Séance de thé léger : l'or de Hideyoshi

Je vous parlais dans la première partie de cet article de la séance de thé épais animée par le maître chaudronnier Ônishi Seiwemon XVI. Tout y était d'un dépouillement élégant, comme l'aimait le maître de thé Rikyû. Souvenons nous que l'homme de thé était le confident du leader du Japon, le chef militaire Toyotomi Hideyoshi. Ce dernier, pour être un grand amateur de thé, ne partageait pas toujours le goût de Rikyû pour la sobriété et le dénuement. Ses désaccords avec le maître de thé le mèneront d'ailleurs à réclamer le suicide rituel de son ami, même si l'on ignore encore les motifs précis qui ont poussé Hideyoshi à un tel geste. On sait aussi que le seigneur de guerre avait fait construire une salle de thé aux murs intégralement recouverts de feuilles d'or. Du plafond aux ustensiles, tout y était fait d'un même métal rutilant. Un luxe ostentatoire qui tranchait nettement avec l'esthétique développée par Rikyû au cours de sa vie. Si nous évoquons ainsi l'histoire de Rikyû et de Hideyoshi, c'est pour mieux mettre en valeur le contraste entre les deux séances de thé auxquelles nous avons pris part avec Maître Ônishi. Je m'explique : le second service, de thé léger cette fois, répondait à la thématique de l'or.

Kamashi 0104Récipient laqué, repose-couvercle en or, plateau et cuillère à thé dorés, boîte à thé laquée...

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Les Grecs avaient les pommes d'or du jardin des Hespérides, les Ônishi ont ce porte-encens clémentine

Moins formelle que pour le thé épais, notre deuxième séance s'est déroulée dans une salle plus vaste, en compagnie d'invités supplémentaires. Les yeux ébahis découvraient les merveilles dignes d'une caverne d'Ali Baba nippone. Voyez un peu les précieux accessoires que nos hôtes de Kyôto avaient pris soin de sortir de leur collection. Dans l'alcôve sacrée, une statuette de pierre, incarnation de l'un des Sept Dieux du Bonheur. Il s'agit de Fukurokuju, symbole de longévité et de sagesse, accompagné d'une chèvre. Le rouleau calligraphié est des plus réjouissants : une face souriante et enfantine déborde pratiquement du papier, encadrée par des inscriptions en katakana qui rappellent des onomatopées ! Le grand vase accueillant la composition florale est en métal sombre, ses allures sont résolument modernes. Le porte-encens revêt la forme d'un fruit d'hiver, une clémentine (みかん – mikan) à l'écorce d'or...

Kamashi 0081Que Fukurokuju vous apporte longévité et sagesse!

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Ce rouleau calligraphié ne vous fait-il pas sourire?

Comme le veut l'usage après un thé épais, on nous présente des sucreries sèches (干菓子 – higashi) pour mettre en valeur l'arôme du thé léger qui va suivre. Le bol de l'invité d'honneur est une pure merveille : ses parois extérieures sont faites d'une belle terre craquelée qui raconte bien des histoires. L'intérieur est tapissé d'or moiré. Nous ne pouvons nous empêcher de songer rêveusement à l'effet que ce bol doit produire dans une salle plus étroite et plus sombre. Je ne résiste pas au plaisir de citer ici « L'éloge de l'ombre » de Junichirô Tanizaki :

« And surely you have seen, in the darkness of the innermost rooms of these huge buildings, to which sunlight never penetrates, how the gold leaf of a sliding door or screen will pick up a distant glimmer from the garden, then suddenly send forth an ethereal glow, a faint golden light cast into the enveloping darkness, like the glow upon the horizon at sunset. In no other setting is gold quit so exquisitely beautiful. You walk past, turning to look again, and yet again; and as you move away the golden surface of the paper glows ever more deeply, changing not in a flash, but growing slowly, steadily brighter, like color rising in the face of a giant. Or again you may find that the gold dust of the background, which until that moment had only a dull, sleepy luster, will, as you move past, suddenly gleam forth as if it had burst into flame. »

Je n'ai malheureusement sous la main qu'une traduction en anglais de l'ouvrage, mais sachez que ce traité d'esthétique indispensable dans une bibliothèque d'amateur d'esthétique japonaise existe en français, grâce au travail du regretté japonologue René Sieffert (ses traductions ne cessent de m'impressionner).

Kamashi 0099Monsieur, sachez que je ne bois mon Lipton que dans des bols en or!

Le second bol, une poterie de type Raku d'un noir brillant, trouve parfaitement sa place aux côtés du premier bol. Les accessoires délirants défilent : boîte à thé en bambou laqué de rouge et dont la forme évoque celle d'une goutte d'eau, cuillère à thé scintillante, support de couvercle de bouilloire (蓋置き – futaoki) en or ciselé d'une délicatesse extrême (« Si je referme ma main dessus, je le froisse en un instant » sourit Maître Ônishi)... Le récipient pour les eaux usées (建水 – kensui) est un magemono (曲物), c'est à dire une pièce de bois fine et plate (généralement du cyprès) que l'on tord et fixe avec des agrafes de bois de manière à former un cylindre. Celui-ci est élégamment laqué de noir. AJOUT: Thierry me signale à juste titre que ce récipient est sans doute en réalité réalisé avec une feuille de métal. Vu que le poids du kensui en question était assez important, et que la plupart des objets de cette séance étaient les oeuvres des dernières générations de Ônishi, c'est plus que probable et renforce le caractère singulier de l'objet! Nous avons eu une chance inouïe de rencontrer, grâce à l'entremise de Chûjô-sensei, Ônishi Seiwemon et son équipe. Le maître espère pouvoir promouvoir l'artisanat pratiqué par sa famille auprès des Français.

Kamashi 0096Quant à mes eaux usées, je ne les vide que dans un récipient laqué!

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Fragile support de couvercle de bouilloire, à motifs de pins

 

釜 – Kama : La bouilloire pour le thé

Si j'ai jusqu'ici omis de parler des bouilloires alors qu'elles étaient le clou du spectacle, c'est qu'elles méritent qu'on leur accorde une place particulière. Comme l'expose très bien le descriptif en anglais du musée Ônishi Seiwemon, la bouilloire en fonte est l'un des seuls objets qui reste immobile, trônant au milieu de la pièce du début à la fin de la cérémonie. On ne porte pas de montre dans la salle de thé, mais les bruits émis pas la bouilloire font office d'indicateurs temporels. Lorsque l'eau frémit et atteint la température idéale pour le thé, les Japonais disent que le son produit rappelle celui du vent dans les pins (松風 – matsukaze). Une bonne bouilloire doit pouvoir mettre ce son en valeur. A la fin de la cérémonie, l'hôte verse une cuillère d'eau froide dans la bouilloire, ce qui a pour effet de faire taire le "vent dans les pins". Par ailleurs, chaque bouilloire donne à l'eau chaude un goût différent. Essayez donc de boire l'eau qui n'a pas été consommée à la fin d'une cérémonie. C'est un peu du gaspillage que de ne pas goûter à ces bons minéraux !

Kamashi 9804La préparation des charbons est essentielle pour que l'eau puisse atteindre une parfaite température au bon moment

Du design à la fonte, la fabrication d'une bouilloire prend souvent trois mois. Si vous souhaitez en savoir plus sur ce processus, vous pouvez jeter un œil à cet article sur le blog de SweetPersimmon. Les moules des bouilloires de qualité sont brisés après leur création, ce qui en fait des œuvres uniques. Il existe de multiples modèles pour la forme, des bouilloires d'été à celles d'hiver, de celles avec des grandes ouvertures à celles que l'on suspend au plafond à l'aide d'une chaîne, en passant par celles dont les bords reposent sur le cadre du foyer pratiqué dans les tatamis. Les bouilloires étant facilement endommagées par la graisse, il faut éviter de poser les doigts sur leur surface fragile (肌 – hada, littéralement la « peau » la bouilloire).

Kamashi 0102Tsurigama, une bouilloire en suspension

La bouilloire que nous avons pu admirer lors de la séance de thé épais était une pièce directement tirée de la collection du musée Ônishi Seiwemon. Elle est classifiée sous le nom de arare otogoze (霰乙御前) en référence à la grêle (arare) car sa surface présente une multitude de petites aspérités ressemblant à des grêlons. Impensable : Maître Ônishi nous a lui-même enjoints à poser nos pattes graisseuses sur cette très vieille bouilloire ! Car celle-ci est l’œuvre du premier maître de la famille Ônishi, Jôrin (1590 – 1663). Elle possède deux petites anses en forme de têtes de lions chinois pour y faire passer les arceaux qui servent à la transporter. L'ouverture au sommet est assez large comparée à la plupart des bouilloires à thé japonaises.

002La jolie arare otogoze vieille de plusieurs siècles (crédits: Musée Ônishi Seiwemon)

La kama de la séance de thé léger était une tsurigama (釣釜), une bouilloire suspendue à l'extrémité d'une chaîne descendant du plafond et que l'on utilise d'ordinaire en mars. De facture moderne, elle avait pourtant un air rustique du fait que ses anses étaient un assemblage de charnières de portes vieilles de 400 ans. Ônishi-sensei nous a enseigné que la difficulté dans la réalisation de cette bouilloire avait été de faire en sorte que le métal neuf vienne enserrer les anciennes charnières et s'ajuste parfaitement autour d'elles.

Kamashi 0107On reconnait dans les parties latérales de la bouilloires de robustes charnières

 

Au final, encore une superbe rencontre grâce à Shikoku Muchûjin et à la Fondation Chûjô !

Publié dans Shikoku Muchujin

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