Trois ouvrages pour mieux comprendre la société japonaise
Voici trois ouvrages qui, il me semble, constituent d'excellentes clés pour comprendre les rouages de la société japonaise et se familiariser avec la culture et les sous-cultures nippones sans tomber dans les clichés. Si ces livres ne sont pas les dernières publications au sujet de l'archipel, ils ont le mérite d'être relativement récents et leurs propos restent vrais à ce jour.
1. Les Japonais par Karyn Poupée, aux éditions Tallandier
C'est avec mon inscription sur Twitter que j'ai commencé à m'intéresser à Karyn Poupée, correspondante de l'Agence France-Presse à Tokyo installée au Japon depuis 2002. Ses liens intéressants sur l'actualité en japonais et son blog très fourni m'ont rapidement séduite, et j'ai fini par acquérir son livre par curiosité. Pas de déception, au contraire ! Les Japonais s'avère être un des portraits les plus respectueux et les plus nuancés que j'aie pu lire sur la société japonaise contemporaine. Il s'agit tout bonnement de la lecture que je recommanderais à quiconque se découvre un attrait pour le Japon et souhaite en apprendre davantage sur ses habitants.
Couverture de l'édition grand format
Car Karyn Poupée aborde de multiples aspects de la vie moderne au Japon : valeurs morales, éducation, habitudes de consommation, évolutions technologiques, relations au territoire et à la nature, et j'en passe, en prenant toujours le soin d'expliquer à quoi sont dues les attitudes des Japonais. Là où d'autres auteurs ont la critique facile, elle met en avant les raisons, historiques ou non, à l'origine de comportements qui nous semblent à nous Français surprenants. Pas de jugement à l'emporte-pièce, même si l'on sent une réelle sympathie à l'égard du peuple nippon. Inversement, lorsque l'auteur présente les grands avantages du Pays du Soleil Levant sur la société française, elle n'oublie pas d'en préciser les coûts, qu'ils soient sociaux, financiers, ou autres. La lecture est facilitée par un style rédactionnel amusant qui fait appel à un mélange d'expressions cocasses et de vocabulaire élégant, en français ou en japonais.
Karyn Poupée (source: Comité d'Echanges Franco-Japonais)
Un livre à recommander chaudement aux néophytes donc, mais aussi à des lecteurs connaissant bien le Japon et à ceux qui y résident. J'ai beau avoir vécu deux ans sur l'archipel et avoir fourré mon nez dans une multitude d'ouvrages traitant de sa société, il me reste encore beaucoup à apprendre, et ce livre m'a apporté son lot de découvertes. Y sont ainsi révélés les hallucinants secrets de l'approvisionnement des supérettes ouvertes 24h/24, 7j/7 (コンビニ – konbini), les mécanismes élaborés derrière les portillons automatisés dans le métro, les systèmes ingénieux de publicités ciblées... On croit rêver ! Un seul regret : le livre s'intéresse surtout aux Japonais de la mégalopole, un peu moins à ceux des campagnes. Mais l'ouvrage reste d'une grande pertinence, et ce même si la version que j'ai lue a été publiée en 2008, et donc avant la catastrophe du 11 mars 2011. Les Japonais a bénéficié d'une réédition en format poche en février dernier, et vaut désormais la modique somme d'une douzaine d'euros. Plus de prétexte, jetez-vous dessus !
Couverture de l'édition petit format
« Oui, il existe un Japon où il fait bon vivre, un Japon aimable, émouvant et surprenant, un Japon qui réfléchit, un Japon porteur de fortes valeurs, un Japon qui innove, un Japon qui ne renonce pas face à la montée en puissance de ses gigantesques voisins asiatiques, un Japon qui se projette dans l'avenir, un Japon qui s'apprête avec clairvoyance à faire face à des défis majeurs (vieillissement de la population, déclin démographique inéluctable, dépendance à l'égard des approvisionnements extérieurs), un Japon qui lutte sans relâche, mais avec respect, contre toute la panoplie des caprices insidieux de dame nature, un Japon qui veut jouer sa partition dans le concert des nations, un Japon qui n'est certes pas parfait, qui a d'immenses efforts à faire pour redresser ses travers, pour éliminer ses tumeurs malignes, pour aplanir ses inégalités, pour éviter de prêter le flanc à la critique, un Japon qui n'est sans doute pas un modèle de société universellement transposable, mais qui, à tout le moins, mérite mieux que l'indifférence ou les clichés, négatifs ou positifs, fondés ou non, auxquels il est hélas, par méconnaissance sinon malentendu, trop souvent réduit. »
Karyn Poupée, Les Japonais
2. Nouvelle histoire du Japon par Pierre-François Souyri, édité chez Perrin & Japan Foundation
Voici un ouvrage qui s'adresse davantage aux passionnés, étant donné la profusion de termes japonais spécialisés pouvant dérouter au premier abord. Il s'agit néanmoins à ma connaissance d'un des meilleurs livres d'histoire sur le Japon (et il y en a de très bons!). Rédigé par le spécialiste Pierre-François Souyri, aujourd'hui professeur à l'université de Genève et grand nom du milieu des japonologues, Nouvelle histoire du Japon présente de manière claire et efficace les grands événements et les différentes périodes qu'a connus l'archipel. Le découpage des chapitres, qui s'organise autour de thématiques tout en conservant un ordre chronologique, est remarquablement pertinent. Il aide à bien comprendre plusieurs tendances ou événements qui ont eu lieu plus ou moins en même temps en gardant en tête leur contexte global.
Une bible pour les passionnés d'histoire japonaise!
Les parties sur la préhistoire au Japon, l'époque Kamakura (de 1185 ou 1192 à 1333), la période des Provinces en Guerre (戦国時代 – Sengoku Jidai, du milieu du XVème siècle au début du XVIème) et l'ère Edo (1603 - 1868) sont particulièrement complètes. On en apprend davantage sur les ligues (一揆 – ikki) rassemblant des personnes issues d'une même région ou d'un même milieu social et qui revendiquent des droits, sur les origines et distinctions des différents courants bouddhiques japonais, sur des personnages curieux ou exemplaires et le rôle qu'ils ont joué dans les évolutions de leur pays... L'auteur confronte en outre différentes théories et interprétations, et fait référence aux travaux novateurs de chercheurs japonais. Un magnifique travail d'historien que je recommande avec insistance aux nipponophiles avertis !
Pierre-François Souyri (source: Arts-Scènes)
« Aux VIIème et VIIIème siècles, les femmes élevées à la dignité impériale sont nombreuses. Après l'impératrice Jitô, pas moins de trois femmes se succèdent à la tête du pays au cours du siècle de Nara. Et deux ont précédé Jitô. Plus sensible de nos jours aux gender studies, l'historiographie japonaise a repris cette question depuis une quinzaine d'années. Elle montre d'abord que le Japon n'est pas un cas à part dans la région. A Silla, on compte deux femmes régnantes au VIIème et trois au IXème siècle. En Chine, un seul cas de figure, celui de Wu Zetian à la fin du VIIème siècle. Au Japon, les empereurs de sexe féminin sont soit des veuves de l'empereur en titre qui reprennent des sa succession en l'absence d'héritier mâle en âge de régner, soit des femmes célibataires. Mais ce qui ressort, c'est que ces femmes tennôsont loin d'être le simple jouet de clans aristocratiques en conflit. Elles impriment de leur volonté les décisions politiques et sont bel et bien présentes à la tête de l'État. »
Pierre-François Souyri, Nouvelle histoire du Japon
3. Le Japon contemporain, dirigé par Jean-Marie Bouissou, chez Fayard
Publié pour la première fois en 2007, voici un livre qui réunit les plumes de toute une équipe de spécialistes du Japon contemporain. Citons entre autres Philippe Pelletier, Anne Bayard-Sakai, et Régine Serra, la responsable Japon du Centre Asie de Sciences Po à qui je dois beaucoup (entre autres le fait d'avoir pu étudier un an à l'Université de Kyôto!). L'ouvrage est dirigé par Jean-Marie Bouissou, qui est également directeur de recherche au Centre d’Études et de Recherches Internationales. Un japonologue bien étonnant que ce monsieur Bouissou, qui connaît sur le bout de ses doigts les rouages de la société japonaise, et qui est à ses heures perdues grand amateur de mangas ! Pour avoir pu assister à plusieurs de ses conférences, je peux certifier qu'il maîtrise d'ailleurs aussi bien le sujet que les plus grands aficionados de culture populaire nippone.
Un volume bien documenté!
Le Japon contemporain, ce sont plus de 600 pages consacrées aux multiples facettes de la culture japonaise. La première partie couvre l'histoire du Japon après la guerre, et complète bien l'ouvrage précédemment cité de Pierre-François Souyri. Les autres chapitres s'attachent à l'État, à la société, aux identités et à la culture, et enfin aux relations internationales et à la défense. L'organisation des sous-chapitres, très claire, permet à ce livre volumineux de rester tout à fait digeste. On pourra d'ailleurs lire chaque partie/article indépendamment du reste. Les références sont soigneusement expliquées, et l'on trouve à la fin une bibliographie détaillée permettant approfondir ses recherches. De quoi s'instruire sur la politique, la littérature, ou encore le monde rural japonais, que l'on soit novice ou passionné.
Jean-Marie Bouissou (source: Editions Picquier)
« Y aurait-il donc quelque vérité dans le cliché usé qui affirme que « le Japon reste fidèle à ses traditions tout en se modernisant » ? Peut-être, à condition d'admettre que, dans cette affaire, les « traditions » ne sont pas ce qui vient à l'esprit des Occidentaux quand ils pensent au Japon. « Esprit samurai », fleurs de cerisier, majesté impériale, rigueurs du zen... Ce sont là, souvent, des traditions (ré)inventées, qui n'ont pas plus de légitimité à représenter le Japon que la culture populaire jouisseuse, exubérante et volontiers vulgaire, voire pornographique, à laquelle Philippe Pons, entre autres, a si bien rendu hommage. Plutôt que de « traditions », c'est de « constantes » dont il faudrait parler : les contraintes jamais levées qui façonnent l'histoire du Japon, et auxquelles chaque cycle n'a été qu'un moyen de l'adapter. »
Jean-Marie Bouissou, Le Japon contemporain