Japon: sortir de l'incertitude politique après le 11 mars (1/3)

Publié le par Zazen Rouge

C'était le 23 septembre dernier, Katsuyuki Yakushiji nous parlait de l'avenir de son pays à la Maison de la Culture du Japon. Revenons sur cette conférence intitulée « Japon: sortir de l'incertitude politique après le 11 mars », que je vais vous résumer ici. Je ne ferai que rapporter les propos du conférencier, qui peuvent être sujets à polémiques, et me contenterai de faire quelques annotations quand mon avis sur la question diverge. Mon objectif n'est pas ici de débattre de ce qui a été dit, mais plutôt de vous rapporter les opinions de Mr Yakushiji, qui illustrent bien je pense une vision commune à de nombreux hommes politiques conservateurs et centristes au Japon. Je tiens à préciser qu'il est tout à fait possible que Mr Yakushiji ne se reconnaisse pas du tout dans la description que je viens de faire!

Incertitude-politique 8975Cette interprête est décidément bien talentueuse!

Mais qui est donc notre speaker? Katsuyuki Yakushiji (diplômé de l'Université de Tokyo) s'est fait connaître par son activité au sein du journal « Asahi Shimbun », un des grands quotidiens japonais et que l'on dit être plus proche des idées de la gauche que ses concurrents. Il y est entré en 1979 et y a fait une belle carrière, puisqu'il n'a quitté la rédaction qu'au printemps 2011. Pendant longtemps éditorialiste pour les affaires politiques, il a également été le directeur de la revue « Ronza ». Fait notable dans une culture nippone où le consensus est si important, il n'hésitait pas à choisir des intervenants aux vues diamétralement opposées afin de nourrir le débat. Mr Yakushiji est désormais professeur en relations sociales et internationales à l'université Tôyô de Tokyo. Sa dernière visite en France remontait à mars 2003. S'exprimant sur sa rencontre avec Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, il s'exclame: « C'est un homme qui a beaucoup de classe! A chaque fois que je viens en France, je rencontre des hommes charismatiques. Voyez, pas plus tard qu'hier, j'ai aperçu Alain Delon! Je me demande quel président je rencontrerai lors de mon prochain séjour... »

Incertitude-politique 8979Mr Katsuyuki Yakushiji, spécialiste de longue date des affaires politiques japonaises

 

Où en est le Japon à l'heure actuelle?

Mr Katsuyuki a commencé par dresser un état des lieux de l'avancée des reconstructions. Il est évident que son discours, très (un peu trop?) optimiste, visait à rassurer les Français. Le Japon doit en effet convaincre les touristes et visiteurs potentiels que la situation est stable, ce qui n'est pas une mince affaire. L'ancien éditorialiste du journal Asahi s'est rendu récemment dans les préfectures d'Iwate et de Miyagi, qui ont été les plus touchées par le tsunami. Ce dernier aurait produit l'équivalent de 100 ans de dégâts naturels! Toutes les routes ont désormais été rétablies. C'est aussi le cas de la pêche, et en cette saison d'automne de nombreux fruits sont envoyés à Tokyo pour y être consommés. Le gouvernement japonais a déjà débloqué 6000 milliards de yens pour financer les travaux de reconstruction. Il doit encore finaliser un autre budget de 10 000 milliards de yens en octobre.

DegatsDégâts dûs au tsunami dans la zone de Wakuya, préfecture de Miyagi (source: Wikimedia Commons

La situation est clairement moins positive en ce qui concerne les conséquences de l'accident nucléaire à la centrale de Fukushima. Les barres de combustible situées à l'intérieur des réacteurs sont toujours maintenues à une température de 100°. La stratégie du gouvernement est de bétonner les réacteurs afin de pouvoir les démanteler. Mais on ignore encore la durée d'un tel processus: cinq ans? Dix ans? Par ailleurs, les 90 000 habitants qui habitaient à moins de 20 kilomètres de la centrale conservent leur statut d'évacués et ne savent toujours pas quand ils pourront rentrer chez eux. Les autres régions seraient retournées à une vie normale. Les touristes chinois reviennent petit à petit à Tokyo. Avant la catastrophe, les rues du quartier de Ginza étaient animées par les conversations en chinois et en coréen. Six mois plus tard, elles commencent enfin à reprendre leur activité.

FukushimaLa centrale de Fukushima Daichi après le séisme et le tsunami (source: Wikimedia Commons)

 

Les efforts de la nation japonaise

Le bilan des victimes et des personnes portées disparues serait actuellement de 23 000. Mr Yakushiji insiste sur le fait que 92% des décès sont dus à des noyades. C'est bien le tsunami qui a été le plus violent. Peu de morts ont en réalité été causées par les effondrements. La technologie parasismique est en effet très développée au Japon, y compris dans les maisons des particuliers. Parmi les collectivités les plus touchées par le tremblement de terre, certaines ont conservées intactes toutes leurs habitations.

Le Japon dispose d'ailleurs d'un système d'alarme en cas de séisme, le « Kinkyû jishin sokuhô » (「緊急地震速報」). Dans l'hypothèse d'un tremblement de terre, des senseurs relaient des informations à un centre d'alerte qui déclenche une alarme sur les téléphones portables des utilisateurs. Le signal permet aux Japonais de gagner dix à trente secondes avant l'arrivée des secousses. Cela peut paraître peu, mais cet intervalle suffit pour effectuer des gestes qui sauvent: couper le gaz, se protéger sous une table... Katsuyuki Yakushiji se rappelle que lors d'un de ses cours à l'université, les portables des étudiants se sont tous mis à sonner à l'unisson. Le système a aussi fonctionné le 11 mars. Ce jour là, 27 trains à grande vitesse Shinkansen roulaient à 270 km/h dans le Tôhoku. Grâce à l'alarme, ils ont ralenti automatiquement. Aucun n'a déraillé. On réfléchit actuellement à exporter cette technologie en Chine.

YamabikoUn shinkansen de type "Yamabiko" immobilisé à Sendai à cause du séisme (source: Wikimedia Commons)

Les efforts des Japonais pour aider les régions sinistrées ont été remarquables. L'université de Tôyô prévoyait de déployer 30 étudiants bénévoles pendant une semaine dans le nord du Japon. Au bout de deux jours, 300 personnes se portaient déjà volontaires! Et cet exemple n'est pas isolé. Énormément d'étudiants, d'écoles, d'entreprises et de jeunes salarymen se sont mobilisés pour aider leurs prochains. Jusqu'à présent, ce sont 7 millions de bénévoles qui se sont engagés pour remettre le pays sur les rails. Les dons collectés (募金 – bokin) s'élèvent à 300 milliards de yens. Mr Yakushiji s'est étonné que dans d'autres pays où la jeunesse rencontre des difficultés (comme au Moyen-Orient ou à Londres), les tensions se soldent souvent par des émeutes, alors qu'au Japon les jeunes se portent volontaires au lieu de manifester. Je ne suis cela-dit pas certaine que les situations soient tout à fait comparables.

VolontaireUn membre de l'US Navy remet un carton de nourriture à un bénévole dans une école de Sendai (source: Wikimedia Commons)

Mr Yakushiji a soulevé un point intéressant en mentionnant le déploiement des Forces japonaises d'autodéfense ou FAD (自衛隊 - jieitai) dans la région du Tôhoku. 100 000 hommes ont ainsi été envoyés sur les lieux en une semaine. Les États-Unis ont de leur côté mis à disposition un porte-avions, des vaisseaux et 25 000 soldats dans le même laps de temps. Ceci signifie qu'en une semaine, le Japon et les États-Unis ont pu mobiliser plus de 125 000 hommes. Reste à savoir si comme l'affirme Mr Yakushiji les deux États seraient capables d'une telle performance en temps de guerre. Il y a évidemment un pays que cela inquiète: la Chine. Cette remarque du conférencier visait à redonner du crédit aux FAD, qui restent un sujet très controversé au sein de l'opinion publique. La question de la légitimité des FAD est toujours délicate et demande l'examen de l'article 9 de la Constitution japonaise. Celui-ci établit que:

« 1. Aspirant sincèrement à une paix internationale fondée sur la justice et l'ordre, le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ainsi qu'à la menace ou à l'usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux.

2. Pour atteindre le but fixé au paragraphe précédent, il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes, ou autre potentiel de guerre. Le droit de belligérance de l'État ne sera pas reconnu. »

1. 日本国民は、正義と秩序を基調とする国際平和を誠実に希求し、国権の発動たる戦争と、武力による威嚇又は武力の行使は、国際紛争を解決する手段としては、永久にこれを放棄する。

2. 前項の目的を達するため、陸海空軍その他の戦力は、これを保持しない。国の交戦権は、これを認めない。」

Je ne vais pas revenir en détail sur les implications de cet article, dont plus d'un politicien nationaliste a souhaité la révision sans succès. Notons simplement qu'il a pour conséquence que le Japon ne peut avoir d'armée et qu'il dépend donc sensiblement de la protection des États-Unis. Je vous encourage à faire vos propres recherches là-dessus (vous pouvez commencer ici et ici) car il s'agit d'un sujet qui a beaucoup de répercussions sur la vie politique japonaise.

JieitaiL'ex Premier ministre Naoto Kan visite un lycée de Miyagi touché par le séisme de mars 2011 en compagnie du lieutenant général Yûji Kuno des FAD (source: Wikimedia Commons)

 

J'interromps ici cet article par pitié pour vos pauvres yeux! Je le poursuivrai néanmoins sans doute sur les deux prochains billets, vu que beaucoup de choses ont été dites au cours de cette conférence, certaines étant des analyses pertinentes des problèmes qui affectent les premiers ministres japonais, d'autres des remarques qu'il convient de remettre dans leur contexte. N'hésitez pas à en débattre dans les commentaires! Je suis d'ordinaire une personne qui recherche le consensus, mais je suis curieuse de connaître les avis de chacun sur ces questions qui concernent l'avenir du Japon. Les analyses les plus croustillantes arrivent dans la suite du compte-rendu de cette conférence...

Publié dans Japon contemporain

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