衿替え - Erikae: de Maiko à Geiko
Parlons bien, parlons geisha. Geiko même (j'ai parlé brièvement des différences maiko/geiko/geisha dans cet article), puisque c'est dans le quartier de Gion Kôbu que nous nous rendons. C'était le 27 mai, un évènement plongeait dans l'émoi la communauté des aficionados d'arts traditionnels kyôtoïtes. La maiko Ayakazu devenait enfin geiko. L'année de ses vingt ans, une maiko est appelée à devenir le sujet d'une cérémonie importante: l'erikae. Erikae signifie littéralement "changer de col". Car les jeunes maiko, de leur qualité d'apprenties geiko, portent au début des sous cols de kimonos ( 衿 - eri) rouges. Plus elles gagnent de l'expérience, plus ce col devient blanc, pour devenir immaculé vers la fin de leur formation. Elles sont alors prêtes à troquer leur kimono de maiko à longues manches pour un kimono à manches courtes qui rappelle davantage celui des femmes mariées.
La geiko Ayakazu le jour de son erikae
Le chemin vers le statut de geiko est long et demande une résolution exemplaire. A quinze ans, les demoiselles qui viennent de terminer leurs années de collège manifestent leur envie de devenir maiko. Si elles obtiennent l'accord de leurs parents, elles sont convoquées à des entretiens avec les o-kaasan (patronnes) des okiya (maisons de geisha). Je préférerais personnellement affronter Freddy Krueger que d'être jugée par une o-kaasan. Mais les jeunes filles armées d'une volonté ferme parviennent à surmonter cette épreuve et deviennent alors des shikomi ( 仕込み - premier stade de l'apprentissage avant de devenir maiko). Elles apprennent à mettre correctement leurs kimonos (bien qu'elles ne soient autorisées à ce stade qu'à porter des kimonos réguliers à manches courtes), prennent des leçons de danses et d'arts traditionnels, apprennent le dialecte de Kyôto et s'occupent des corvées à la maison. Il paraît - et je le crois volontiers - que l'apprentissage des paroles kyôtoïtes ( 京の言葉 - kyô no kotoba) est un véritable défi. Les futures maiko sont parfois originaires de préfectures lointaines et se doivent de maîtriser à terme le vocabulaire, les intonations et la grammaire locale. Le résultat est des plus charmants! (Quelques exemples pour les amis du japonais: desu devient dosu, yoroshiku o-negai shimasu se change en yoroshû o-tanomô shimasu, et "bienvenue" se dit o-koshi yasu. La maiko Keiko nous fournit ici une démonstration.)
Une shikomi dans les rues de Gion
Les prétendantes au titre de maiko passent alors un ou plusieurs examens. Si elles réussissent, elles deviendront minarai ( 見習い - apprentie) pour environ un mois. Au cours de cette période, elles iront observer leurs aînées dans les o-zashiki ( お座敷 - soirées animées par des geishas) et acquerront de nouveaux talents pour la conversation. Elles sont à ce stade autorisées à porter une coiffure de style japonais traditionnel ( 日本髪 - nihongami) ainsi que le maquillage blanc ( おしろい - oshiroi). On les distingue cependant des maiko car leur obi (ceinture de kimono) à l'arrière ne fait que la moitié de la longueur d'un darari obi ( だらり帯 - le obi des maiko, qui traîne presque par terre). Enfin elles sont prêtes pour le misedashi ( 見せ出し), une cérémonie durant laquelle elles deviendront officiellement maiko et iront se présenter aux restaurants dans lesquels elles travailleront désormais.
Noob! Je veux dire, minarai.
(Photographie par Onihide, qui a la gentillesse de publier ses magnifiques clichés sur Flickr)
Les maiko s'engagent à travailler pour leur maison sur une période allant de quatre à cinq ans. Les maiko juniors ne peignent en rouge que leur lèvre inférieure pour rappeler qu'elles sont encore des enfants. Les motifs de leurs kimonos sont plus chargés, tout comme leurs ornements pour cheveux. Plus elles monteront en grade et plus leur costume sera sobre. Au bout de quelques années, elles troquent leur coiffure de débutante ( 割れしのぶ - wareshinobu) pour une autre plus mature du nom de o-fuku ( おふく), leur col rouge contre un col blanc, et commencent à peindre leur lèvre supérieure. Elles se préparent finalement à devenir geiko lorsque leur patronne le juge bon.
Le wareshinobu, coiffure des maiko juniors
(Notez l'abondance des ornements et les détails chargés du kimono)
O-fuku, la coiffure des maiko séniors
La cérémonie de l'erikae est donc une étape cruciale dans la vie d'une geisha de Kyôto. Pendant les quinze jours qui précèdent leur changement de statut, les maiko portent une coiffure spéciale, le sakkô ( 先笄). Voici venu le grand jour pour Ayakazu. Les photographes attendent comme convenu devant la porte de l'okiya que la nouvelle geiko fasse son entrée. La voilà radieuse dans un hikizuri (kimono à traîne rembourrée) noir et un sous-kimono rouge orné de motifs dorés. Son obi (ceinture de kimono) comporte des grues, symboles de bonheur et de longévité. Elle porte désormais une perruque faite sur mesure. Les maiko doivent pendant toute leur carrière aller chez le coiffeur chaque semaine et dormir sur des oreillers de bois afin de ne pas abîmer leurs cheveux, mais abandonnent cette pratique lorsqu'elles deviennent geiko. Ayakazu va se montrer sous sa nouvelle apparence auprès des maisons de thé qui l'emploient. Derrière les portes de bois coulissantes, on entend ses connaissances pousser des cris de joie et féliciter la geiko, qui ressort sous les regards admiratifs des passants. Espérons que la carrière d'Ayakazu soit longue! Geisha est une profession difficile, dans laquelle le mariage est interdit, et qui est parfois délicate à organiser lorsque les geiko deviennent indépendantes du fait de la fin de leur contrat avec l'okiya. Mais si j'en crois mes sources, les hanamachi de Kyôto connaissent la prospérité ces dernières années. Pourvu que cela dure!
Oh lala, elle porte une perruque!
(Les trois "pointes" peintes sur la nuque indiquent qu'il s'agit d'une occasion formelle)
Medetai, medetai! ("Quel évènement heureux!")